Face au défi écologique, vers un tourisme de proximité

La Croix (Romain Subtil )

"Les flux touristiques sont régulièrement accusés d’aggraver le sort de la planète. Des professionnels œuvrent à ne pas attirer uniquement la clientèle internationale." La Croix

jeudi 18 juin 2020, par administrateur

La Croix

" Les Français doivent envisager un « été pas comme les autres », avait prévenu Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères. La crise sanitaire laisse les amateurs de voyage hagards, parfois contraints de réviser leurs projets à très court terme. Et fait réfléchir l’ensemble d’un secteur sujet à des changements de pratiques, pour devenir plus vertueux.

Des flux intensifiés

« Le marché touristique n’est qu’une facette du tourisme », relève Philippe Duhamel, géographe et directeur du département tourisme et loisirs de l’université d’Angers. « L’essentiel des flux est guidé par les connaissances familiales, amicales, le désir de mettre ses problèmes de côté pour passer du bon temps.
Néanmoins, au gré de la démocratisation des loisirs et des transports, les flux touristiques marchands se sont intensifiés. L’Europe « sécrète » de nombreux voyageurs, à l’intérieur ou à l’extérieur d’elle-même, et en attire beaucoup d’autres.
Certaines villes comme Barcelone, Amsterdam, Venise, Bruges, que Philippe Duhamel décrit comme étant « des ”lieux du monde” que de nombreuses personnes, d’où quelles soient, désirent visiter », sont malades de « l’over-tourisme ». D’où des tensions récurrentes comme à Dubrovnik, en Croatie, ville de la Renaissance qui « subit » l’afflux des occupants de deux immenses bateaux de croisière chaque jour.

Les succès du célèbre Routard, du Petit futé et de Lonely Planet ont reconfiguré les flux : ceux-ci sont composés de « paquets » d’individus orientés vers les adresses prescrites par les guides. Intensifiés, les flux touristiques ont imposé à certains sites des politiques de réservation obligatoire, comme le palais de l’Alhambra, en Andalousie. Dans une « société-monde », cette évolution ressemble au prix à payer pour maintenir ce que les spécialistes du marketing appellent une bonne « expérience de visite ».

Voyages écoresponsables

Il n’a donc pas fallu attendre la crise du Covid-19 pour que des professionnels proposent d’autres formes de voyage. L’un d’eux, Jean-Pierre Lamic, a fondé l’association des Voyageurs et voyagistes écoresponsables (VVE) en 2007. « ”Éco” signifie “maison”, ce qui suppose de ne pas se limiter à la faune, la flore, les paysages, mais d’inclure aussi des habitants », explique ce guide de voyage d’aventure exerçant depuis les années 1980.

« Quelques idées fausses persistent dans l’esprit du grand public. Par exemple, à l’instar d’une pomme bio, plus coûteuse que celle issue de l’agriculture conventionnelle, le voyage “responsable” serait plus cher, souligne-t-il. Or, c’est l’inverse : une grosse agence doit payer son personnel, sa communication, des frais que n’ont pas les petits acteurs de la microéconomie. »

L’écotourisme pâtit par ailleurs d’une image dégradée : des séjours à la ferme, comme les propose la technique du wwoofing, suggèrent l’inconfort, or il utilise généralement des lieux d’hébergement agréables et conviviaux.

Jean-Pierre Lamic ne croit pas beaucoup à la multitude des labels « qui mettent en avant les structures qui ont payé pour cela », ni aux mesures de compensation carbone, qui servent d’« argument marketing » à des projets, comme ceux de reforestation, souvent « discutables » car déconnectés du territoire où les opérateurs de tourisme agissent.
Un tourisme au service du territoire

Depuis dix ans, il promeut le mécanisme de la « compensation territoriale », grâce auquel un groupe d’experts scientifiques indépendants évaluerait l’impact d’un gros acteur de tourisme sur le territoire où il opère. Grâce à un prélèvement imposé – voire une contribution volontaire pour les plus « responsables » – le groupe d’experts, en travaillant avec des acteurs institutionnels (commune, région, etc.), orienterait des mesures de soutien spécifique à ce territoire.

« Le Club Med a neuf centres rien que dans la vallée de la Tarentaise, qui ne bénéficie pourtant d’aucune retombée de cette présence, hormis l’emploi de prestataires extérieurs », maugrée Jean-Pierre Lamic. La compensation territoriale permettrait par exemple d’abonder un fonds servant à l’installation de cultivateurs de fruits et légumes sur certains versants des montagnes, qui en produisaient autrefois, mais sont aujourd’hui délaissés.

Aider le territoire, penser local. C’est la révolution copernicienne que la crise sanitaire pourrait amorcer dans le monde du tourisme. « Avant même la crise, nous étions convaincus qu’un rééquilibrage était nécessaire entre les moyens alloués à la recherche d’une clientèle lointaine et ceux destinés à informer des clients de proximité », explique Jean Pinard, directeur général du comité régional du tourisme de la région Occitanie.

Sur les 16 milliards d’euros que pèse l’économie touristique dans la région, un gros tiers vient des locaux. « Si les Chinois ou les Américains dépensent plus, ils pèsent peu par rapport à des jeunes du coin susceptibles de faire du kayak, du rafting plusieurs fois dans l’année », souligne-t-il.

Les retombées d’initiatives non touristiques

L’Occitanie est souvent citée comme territoire d’expérimentation d’un tourisme plus vertueux. Parfois parce qu’il « émerge » d’initiatives… non touristiques. Dans les Cévennes et les Causses par exemple, les habitants ont souffert, autrefois, du manque d’eau potable. Au vu de l’éloignement des stations d’équarrissage, certains éleveurs enfouissaient dans des grottes les bêtes mortes de leur troupeau qui, en pourrissant, affectaient les nappes phréatiques.

Au début des années 1980, les vautours fauves ont été réintroduits à Saint-Pierre-des-Tripiers (Lozère), pour qu’ils « nettoient » les squelettes d’animaux, déposés sur des zones de nourrissage. L’opération a été un succès et a occasionné l’édification, dans le village, d’une Maison des Vautours destinée à l’accueil des touristes, ainsi que la réhabilitation de maisons caussenardes.

« La dimension économique du tourisme responsable est indissociable de son versant social, reprend Jean Pinard. Il faut sans cesse s’interroger sur le bénéfice des visiteurs mais aussi celui des habitants. Si la piscine d’un village-vacances n’est pas accessible aux habitants, il y a un problème… » Le directeur plaide pour retrouver le sens du mot « vacances » et d’une réflexion sur « la dualité temps libre/temps contraint. Lorsqu’on a réduit le temps de travail, il n’y a pas eu d’accompagnement sur l’usage qu’on allait faire du temps libéré », regrette-t-il.

Les 35 heures, en France, sont concomitantes de l’émergence des compagnies aériennes à bas coût en Europe. Elles ont donné la possibilité de partir, à des prix dérisoires, pour d’autres métropoles européennes ou nord-africaines. « 8 % des gaz à effet de serre émis dans le monde sont imputables au tourisme, avance Jean Pinard. Dans cette portion, neuf dixièmes sont imputables aux transports. »

Redécouvrir le patrimoine local

Aussi, l’offre pléthorique des liaisons aériennes suscite bien des critiques. « Après avoir ”fait l’autruche”, nous nous sommes mis à faire du plaidoyer il y a environ trois ans », se souvient Guillaume Cromer, à la tête de l’association Acteurs pour un tourisme durable.

« Personnellement, je suis favorable à ce que nous interdisions la publicité pour les compagnies à bas coût, ou les subventions versées à certaines de ces compagnies pour desservir des aéroports régionaux, souligne-t-il. Cet argent pourrait être consacré à une véritable politique ferroviaire. Même s’il faut se souvenir que seulement 20 % des Français prennent l’avion au moins une fois dans l’année. »

Les débouchés internationaux rendus incertains du fait du coronavirus, de nombreuses collectivités, comme les départements, proposent à leurs habitants restés sur place des carnets de réduction pour accéder aux visites et activités issues patrimoine local. Les Deux-Sèvres appuient cette année financièrement pour 300 000 € le chéquier « Escapades », lancé en 2019 par les opérateurs touristiques. Proposé à chaque foyer du département, il contient 45 coupons de réduction pour des sites ou des activités.

Vu d’avant : En 1986, adoption de la loi littoral

La mise en place d’une stratégie de protection des 5 800 km de côtes de la métropole (18 000 km pour l’ensemble du territoire) remonte aux années 1970 avec notamment la création du Conservatoire de l’espace littoral. Au cœur des Trente Glorieuses, le tourisme explose et certaines régions côtières connaissent une très forte attractivité démographique.

S’il faut attendre 1986 pour que le pays se dote d’une loi relative à « l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral », la réforme est adoptée (juste avant la première cohabitation Mitterrand-Chirac) à l’unanimité au Parlement.

Plus qu’une réforme environnementale, il s’agit d’une loi précurseur en termes d’aménagement du territoire. Sans empêcher le développement économique des espaces littoraux, elle a contribué à limiter le recul des espaces naturels en permettant au Conservatoire d’acquérir des terres.

En 1986, son patrimoine s’étendait à 22 730 ha constitués essentiellement de terrains acquis. En 2015, malgré la pression foncière qui s’est fortement renforcée, il correspond à 160 000 ha et 13 % du linéaire côtier. La stratégie adoptée cette année-là fixe un objectif de protection de 320 000 ha à l’horizon 2050, correspondant à 25 % du linéaire côtier et 1 000 sites protégés."


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