TVA à la marge : quel champ d’application ?

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" Régime de TVA sur marge : des décisions de la CJUE très attendues dans deux affaires Alpenchalets Resorts GmbH et Skarpa Travel " Tourmag

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mercredi 23 janvier 2019, par administrateur

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l est important de rappeler que le régime particulier des agents de voyages (TVA due sur la marge) a été mis en place par le législateur européen afin de tenir compte des spécificités de la profession, l’objectif étant de prévoir un lieu de taxation unique concernant les prestations complexes (offre de services multiples).

Ce lieu de taxation est celui du lieu d’établissement de l’agence de voyages, afin d’éviter que ce dernier n’ait à s’immatriculer, pour les besoins de la TVA, dans chacun des États membres où les prestations de services composant son offre sont fournies.

Première affaire Alpenchalets Resorts GmbH (Aff. C-552/17) sur le champ d’application de la TVA sur marge

Une Société allemande loue des maisons auprès de leurs propriétaires, pour ensuite les donner en location de vacances à ses clients particuliers.

Au-delà de l’hébergement, les propriétaires fournissaient également aux clients des services à leur arrivée sur place (nettoyage, blanchisserie, livraison de petits pains).

La société a calculé la TVA conformément au régime de la marge, et a appliqué un taux normal de TVA. Par suite, elle a réclamé l’application du taux réduit de TVA applicable sur les prestations d’hébergement. L’administration fiscale allemande a refusé une telle demande considérant que les opérations soumises au régime de TVA sur marge doivent être soumises au taux normal de TVA.

Saisie du litige, la Cour fédérale des finances allemande a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

(1) la prestation de mise à disposition d’un appartement de vacances acquise auprès d’un tiers est-elle soumise au régime de TVA sur marge ?

(2) Si la réponse est positive, cette prestation peut-elle être soumise, outre au régime de TVA sur marge, au taux réduit de TVA applicable à la fourniture d’hébergement et de vacances ?

Si la première question posée à la Cour n’est pas nouvelle, la deuxième question est inédite.

L’Avocat Général a examiné deux approches alternatives : d’une part, si une multiplicité de services est effectivement requise pour être soumise à la TVA sur marge, et d’autre part, si une seule prestation de services, fournie par un prestataire tiers, liée soit à l’hébergement, soit au transport peut suffire.

Depuis 1992, la CJUE retient la deuxième approche : la fourniture d’un service d’hébergement acquis auprès d’un tiers suffit, dès lors que l’agence de voyages est susceptible de fournir à ses clients des services supplémentaires, tels que des informations et des conseils.

L’Avocat Général propose de confirmer cette position historique : le régime particulier des agences de voyages est applicable à une prestation de services qui consiste en la fourniture d’un service acquis auprès d’un tiers, pourvu que ce service d’un tiers soit l’hébergement ou le transport.

Sans surprise, celui-ci conclut que, si une prestation de services est soumise au régime particulier des agences de voyages, celle-ci ne peut pas bénéficier du taux réduit de TVA applicable à la fourniture d’hébergement.

En France, la jurisprudence n’est pas tout à fait en ligne avec cette tendance européenne. Récemment, le Conseil d’Etat a jugé qu’un service acquis auprès de prestataire tiers qui n’inclut ni transport ni hébergement doit être soumis au régime de TVA sur marge, alors même qu’aucune difficulté de règle de territorialité ne se posait pour une prestation unique.

Tel est le cas des opérateurs qui revendent des locations de voitures en leur nom propre, sans transport ou hébergement, sur un site internet.

Du point de vue de l’administration fiscale française, celle-ci a une position plus nuancée dans sa documentation : le régime de la marge bénéficiaire s’applique à la vente d’une prestation de voyages lorsque celle-ci comprend au moins le transport et/ou l’hébergement… mais cela ne reflète pas toujours la position des services de contrôle.

Ainsi, l’arrêt de la CJUE est très attendu, en ce qu’il permettra de sécuriser le champ de la TVA sur marge, et d’identifier des services pour lesquels certains opérateurs pensent être exclus. Aussi, si la Cour ne suit pas les conclusions de l’Avocat général, et considère que le taux réduit de TVA peut s’appliquer… des opportunités seraient ouvertes aux opérateurs.

1 Tour Operator Margin Scheme
2 Article 306 et suivants de la Directive TVA 2006/112/CE

Seconde affaire Skarpa Travel (Aff. C-422/17) sur la détermination de la marge taxable

Une agence de voyages polonaise, soumise au régime de TVA sur marge, percevait des acomptes de ses clients qui pouvaient s’élever jusqu’à 100 % du prix à payer. Celle-ci a refusé de collecter la TVA lors de l’encaissement des acomptes et a différé la collecte de la TVA à la date à laquelle la marge était définitivement connue.

L’administration fiscale polonaise a rejeté une telle interprétation.

Il s’agit de savoir à quel moment la TVA doit être collectée lorsque l’agence de voyages est soumise au régime de TVA sur marge.

En effet, la Directive TVA prévoit une règle d’exigibilité en matière de services : si les acomptes sont versés avant que les services ne soient effectivement fournis, la TVA devient exigible au moment de leur encaissement, à concurrence du montant encaissé.

Aussi, elle précise une règle spécifique pour les besoins du régime particulier des agences de voyages : la TVA est due sur la marge, c’est-à-dire « la différence entre le montant total, hors TVA, à payer par le voyageur et le coût effectif supporté par l’agence de voyages pour les livraisons de biens et les prestations de services d’autres assujettis, dans la mesure où ces opérations profitent directement au voyageur ».

Dans ce contexte, la CJUE a été saisie des questions suivantes :

(1) la règle générale de l’exigibilité de la TVA lors de l’encaissement des acomptes s’applique-t-elle aux services relevant du régime spécial de TVA sur marge ?

Dans l’affirmative, comment calculer la TVA lorsqu’on ne connait pas la base d’imposition ?

Ces questions ont une résonance particulière pour les agences de voyages. La détermination de la marge est étroitement liée à la saisonnalité de l’activité des agences de voyages (acomptes reçus avant le début de chaque saison alors que les factures des prestataires tiers sont reçues après la saison) mais aussi des facteurs inhérents à la nature des services de voyages (prix en fonction du nombre de voyageurs attendus, variation des taux de change, coûts imprévus).

Dans ses conclusions, l’Avocat Général confirme l’application de la règle d’exigibilité de principe (TVA exigible lors de l’encaissement des acomptes) aux services relevant du régime spécial de TVA sur marge, et reconnait les difficultés pratiques pour déterminer la marge définitive.

Il retient alors une approche pragmatique selon laquelle la TVA doit être calculée sur la marge, établie comme la différence entre le montant encaissé au titre d’acompte et le pourcentage correspondant au coût global estimé pour une opération donnée.

Cette solution conduirait à l’exemple suivant : si le prix du voyage s’élève à 1 000 €, avec une marge estimée à 20% de ce prix (200 €), et que le client verse un acompte de 500 €, la marge dont il faut tenir compte au moment de l’encaissement de l’acompte devrait être de 100 (500 x 20 %) et serait exigible dès cet instant. Des corrections ultérieures et définitives pourraient être apportées, par la suite, si besoin, lorsque la marge définitive sera connue.

Cette approche d’un « coût estimé » s’éloigne de la lecture des textes qui visent expressément un « coût effectif supporté », et en pratique, risque d’entraîner une mise en œuvre complexe pour les opérateurs (dont les modalités actuelles ne sont pas simples).

A la différence de la position européenne, la doctrine administrative française pose la règle selon laquelle les agences de voyages sont tenues, comme tous les prestataires de services, de se conformer à la règle d’exigibilité de la TVA lors de l’encaissement des acomptes ou du prix. Aussi, il n’est pas possible de différer le paiement de la TVA à une date d’exigibilité postérieure à l’encaissement, telle que, par exemple, la date de la réception des factures établies par ces prestataires.

Si la solution préconisée par l’avocat général devait être retenue par la Cour (calcul d’une marge théorique), elle pourrait impacter la situation des opérateurs français.


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