L’ailleurs change d’ère

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Pour l’anthropologue Saskia Cousin, le tourisme est un acte social aux enjeux politiques et culturels. Motivations et consommations se redéfinissent.

vendredi 18 septembre 2015, par administrateur

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Par Elvire von Bardeleben

A l’approche de l’été, la question « tu pars où ? » revient sur toutes les lèvres. Le spectre de réponses possibles reflète la diversité des désirs des voyageurs. Certains cherchent « l’inconnu », terme à la définition fluctuante (hier la Birmanie, aujourd’hui l’Antarctique, demain l’espace ?), la plupart le familier (80 % des Français partent en vacances en France). Depuis son invention au XVIIe siècle avec le Grand Tour aristocratique (voyage d’érudition entrepris par de jeunes nobles) le tourisme, plébiscité comme un outil de développement économique, n’a cessé d’évoluer. Sa dernière mue – la plus extraordinaire – ayant été impulsée par Internet. Décryptage du phénomène avec Saskia Cousin, anthropologue, spécialiste des pratiques touristiques, maître de conférences à l’université Paris Descartes à Paris et co-auteur de Sociologie du Tourisme (avec Bertrand Réau, aux éditions La Découverte).

Dans quelle mesure la définition de « l’ailleurs » est-elle changeante ?

Ce sont moins les attentes qui changent que les lieux investis pour y répondre et la manière de les investir. L’ailleurs peut être Bali, une île grecque, un tour d’Europe en camping-car, l’Asie en stop… ou en bas de chez soi. Par exemple en visitant le « Petit Mali » du quartier Château Rouge à Paris, avec un guide local qui en explique l’histoire. Évidemment, lorsque l’enjeu est la distinction sociale, l’Antarctique et l’espace seront plus prisés que les quartiers populaires de la capitale.

Qu’est-ce qui motive un départ ?

Pour les Français, la découverte ne représente que 10 % des séjours. Les 90% restants sont dédiés aux vacances. On ne peut généraliser les motivations, elles sont aussi diverses aujourd’hui qu’hier : chercher le vide (le désert, la campagne isolée…), le plein (la ville, Ibiza, la fête), le rien (farniente), le trop (alpinisme, tour des musées), l’autre (tourisme solidaire) et soi (famille, tourisme des racines…).

Le tourisme peut aussi être une « quête d’authenticité ». Qu’est-ce qu’une « destination authentique » ?

En 1976, l’anthropologue Dean MacCannell a décrit dans The Tourist la quête d’authenticité propre au voyage occidental. S’inspirant des concepts d’aliénation de Marx et de mise en scène d’Erving Goffman, il analyse cette quête touristique comme une tentative d’échapper à l’aliénation, en allant chercher derrière la scène touristique, la vie « vraie ». Mais cette recherche est forcément vouée à l’échec, puisque la présence des touristes implique la mise en scène des coulisses, qui deviennent une nouvelle scène avec d’autres coulisses. L’homme moderne se retrouve donc à jouer un rôle, celui du touriste, caractérisé par l’inauthenticité. Pour MacCannell, c’est le signe que le tourisme et le postmodernisme doivent être pensés ensemble, comme deux facettes d’un même rapport au monde : une relation superficielle au présent et le goût nostalgique d’un passé fantasmé......


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